Lorsque j’étais enfant, je possédais un livre ancien qui sentait la poussière, que j’ouvrais religieusement et où figurait des photographies du Pérou. Je l’ai souvent feuilleté, fascinée que j’étais par les visages, les couleurs, les paysages lointains.
Depuis lors, mes rêves de voyages se tournaient souvent vers ce pays. J’aurais pu choisir cette destination pour mon premier voyage en Amérique du Sud mais il en a été autrement. Une amie colombienne m’avait conseillé l’Equateur : un pays entre mer, montagne et forêt, moins touristiques que ses voisins. J’y suis donc allée pour un mois en 2018. C’était mon premier grand voyage.
La sombre actualité en Equateur m’a rappelé que je n’avais rien partagé de ce périple mais qu’aussi, les tensions sociales et économiques ressenties au cours de mon voyage ont éclaté finalement quelques mois plus tard.
Des travailleurs et indigènes se sont révoltés en octobre 2019 suite à une augmentation des prix de l’essence. Le gouvernement a déclaré l’état d’urgence (donc le droit de censure de la presse, couvre-feu etc.). Il y a eu des affrontements. Aucun taxi ni autobus ne circulaient à Quito le 3 octobre. Chose exceptionnelle tant la capitale est polluée. Au final, la réforme a été en partie annulée mais au prix de sept morts, 1340 blessés et 1152 arrestations (selon l’organisme public de défense des droits).
Ce récit suivra le fil d’une mémoire anachronique.
Un périple en bus
J’ai passé une grande partie de mon aventure dans des bus. Des heures et des heures à voyager dans le pays, faisant le choix d’aller du Nord au Sud, dans les Andes équatoriennes, la mer étant inatteignable cette fois-ci. C’était la meilleure façon de rencontrer, ou du moins, côtoyer les habitants. Je rejoins la féministe et militante américaine Gloria Steinem qui, n’ayant pas le permis, s’explique en disant : “Comment me réjouir d’aller quelque part quand je ne pouvais pas prêter attention à ce qu’il y avait autour de moi ?”. Ne pas conduire c’est prendre le temps d’observer et discuter. Le bus était un moyen de transport économique et social, je croisais donc une grande partie de la classe populaire du pays.
La chaleur humaine des bus me plaît. Contrainte par le mal des transports, je m’y assoupis volontiers des heures durant, secousses et voix ne me réveillant que brièvement. Chaque bus a le caractère de son chauffeur qui lui donne une identité en le décorant. Autour de son siège, on trouve des babioles, guirlandes, photographies, tout y est fantaisiste. Pendant le trajet, il écoute sa musique qui résonne dans tous les hauts parleurs. Souvent, un film américain doublé en espagnol est projeté pendant les longues traversées. Au cours de quelques haltes, des vendeurs et vendeuses ambulantes montent et proposent de quoi grignoter. J’avoue ne jamais avoir gouté à leurs mets dont la vue me coupait tout appétit !
Lors d’un voyage assez long, un homme est rentré, en costume, s’est assis devant et a attendu que le bus démarre pour se lever, un micro accroché à son veston assorti d’un haut parleur. Il a montré des images de foie malade, de cancers de la peau, de poumons enfumés. Il possédait tout un tas de panneaux en carton avec des photographies répugnantes, les mêmes que l’on trouverait sur google si un esprit pervers s’amusait à les chercher, pour au final, proposer une pilule miracle capable de guérir tous les maux qu’il venait d’énumérer. Plus la liste était longue ; plus les ventes seraient bonnes. Il parlait vite. L’intonation de sa voix paraissait travaillée, habituée à ce type de propagande. Il a ensuite tendu son produit à chaque client du bus dont moi. Je pensais que personne n’allait l’acheter, que l’arnaque était bien trop évidente, que rien ne pouvait soigner d’un cancer en phase terminal, du sida, mais non, il avait réussi à convaincre quelques bonnes âmes mais dont peut être la peur de mourir avait pris le dessus.
De ma fenêtre, voici un petit aperçu…
Les chagras d’Equateur
Le cheval est l’un des moyens de locomotion le plus utilisé en dehors des grandes villes.
A la hacienda Alegria, j’ai rencontré deux frères, Gabriel et Mauricio Espinosa, des chagras, réfugiés dans leurs terres isolées entourées de volcans ou de réserves protégées. Ils me racontaient qu’ils partaient, entre chagras, plusieurs mois par an afin d’emmener leurs bétails vers d’autres pâturages.
Ils ont pour mission, dans la tradition indienne, de veiller sur le grand bétail des Andes. D’ailleurs, ils emmenaient avec eux des soupes cuisinées par leurs femmes. Gabriel aimait me raconter qu’une femme devait très tôt connaître les recettes de centaines de soupes à cuisiner pour les chagras. Quelle vocation lui disais-je ! Il en gloussait. Oui, parce que le désir d’émancipation des femmes, c’est drôle. Un peu comme mon alimentation végétarienne qui le surprenait et même s’il ne me forçait pas à manger de la viande, il y incitait mon compagnon, pensant qu’un homme non carnivore était une hérésie. Nous nous titillions sur ces sujets sans en débattre vraiment. Mais le rire peut laisser des traces.
Je me souviens de cet incongru premier dîner passé ensemble. A peine rencontré quelques heures plus tôt, Gabriel nous a invités dans son salon où était accroché de nombreuses têtes d’animaux, des fers à cheval, le tout sur un papier peint appartenant à un siècle passé. La table en bois rectangulaire prenait tout l’espace, le feu crépitait et les ancêtres photographiés et accrochés dans des cadres nous observaient. Gabriel ne parlait pas et les plats étaient déposés dans notre assiette au fur et à mesure. Il grommelait. Son silence m’intimidait. Il se montra beaucoup plus loquace les fois suivantes. Sa femme, muy catolica, comme elle aime se définir, nous a parlé longuement, un soir près du feu, avec son neveu et sa femme, de son histoire familiale, de son pays. Gabriel écoutait, riait, puis quand sa femme a abordé la question religieuse, il s’est enfui en ricanant.
Lors de nos balades, son frère, Mauricio, aux cheveux plus grisonnants, montait sans selle, la cigarette coincée entre ses lèvres, le dos se dodelinant aux mouvements de l’animal. Quand je lui ai fait remarquer son aisance, il me répondit qu’il avait appris à monter à cheval dans le ventre de sa mère.
Ils ont voulu me faire plaisir en me montrant comment ils s’occupaient de leur bétail mais lorsque j’ai vu un taureau dans l’arène et leur façon de l’écarteler, au lasso, j’ai fermé les yeux.
L’altitude et les chiens sauvages
J’ai vécu en altitude la majeure partie du temps. Une tisane au coca calmait le mal des montagnes. Déjà, atterrir à Quito c’est vivre à 2850 mètres puisque la ville est à flanc du volcan Guagua Pichincha. J’y suis restée une semaine pour m’habituer à ces nouvelles sensations. Lors de marches en montagne, des chiens m’accompagnaient sur le chemin pendant que d’autres se montraient beaucoup plus agressifs. Il nous avait été conseillé de leur lancer des cailloux aux visages tout en agitant un bâton. Je n’ai jamais eu à le faire malgré les confrontations que j’ai pues avoir avec ces chiens errants. Coincée dans un sentier, je suis restée face à eux sans bouger en les regardant, longtemps, tant est si bien que lassés, ils sont partis. Je les ai souvent photographiés car ce sont des compagnons de routes enthousiastes ! Il y a aussi l’unique chat rencontré, celui du refuge Black Sheep Inn, une boule de poil câline et espiègle !
La vallée de l’Intag : lieu de conflits
Un lieu m’a marquée : la vallée de l’Intag.
Pour arriver au refuge, il a fallu presque une journée de bus à jongler dans les virages abrupts des montagnes. Le refuge était isolé, entouré d’une vaste forêt, et tenu par Peter, un américain passionné d’ornithologie, ancien enseignant à la retraite. Il vivait avec la famille d’Oswald dont la femme cuisinait chaque midi et soir pour nous de délicieux repas végétariens. Oswald est un curieux personnage : je suis partie avec lui faire un tour en ville, une parade avait lieu, il saluait tout le monde, faisait monter dans le 4*4 (financé par Peter aux termes d’un prêt) des habitants qui, debout à l’arrière, s’accrochant tant bien que mal, une fois arrivés à destination, lui donnaient quelques pièces. Il m’a laissée deux heures seules dans une bourgade minuscule, il s’était volatilisé, puis il est réapparu.
Je garde en mémoire les visages rencontrés lors de ce moment festif. C’était un dimanche et tous attendaient un défilé riche en couleurs. Il y avait de l’alcool. beaucoup d’alcool,
Grâce à Peter, j’ai compris qu’un conflit habitait ce territoire. Il y a beaucoup de projets miniers qui visent à détruire l’écosystème de la vallée. Les entreprises responsables de la déforestation comme l’ogre Ascendant Cooper, avant que les canadiens ne les remplacent, arguent auprès des habitants qu’ils gagneront de meilleurs routes et obtiendront un travail grâce à ces mines. Une autre partie de la population autochtone rejette ce projet et lutte, au prix d’arrestations illégales, de menaces de morts, comme en témoigne ce documentaire sélectionné au festival international du film de Toronto, Under the Earth de Malcolm Rogge. Le gouvernement a le droit d’autoriser ses constructions minières mais en demandant leurs avis aux organisations locales. Ce qu’il n’a pas fait.
Pourtant le pays a reconnu dans sa constitution les droits de la nature.
La vallée de l’Intag reste le seul endroit où j’ai vécue avec une nature préservée et libre de s’épanouir. Si vous regardez les arbres dans cette forêt, j’en avais jamais vu de si étranges, presque effrayants. Nous dormions dans une simple et lumineuse maison propice au repos, à la lecture, au dessin. J’ai longuement marché dans la vallée où il n’y a pas de sentier, la nature y est authentique, il faut suivre Peter, qui sur ses épaules, a des araignées qui l’accompagnent. Il aime raconter la faune et flore environnantes, sans se lasser. Son pas est calme et assuré.
Si vous n’avez pas peur des araignées, glissez vous dans cette forêt…
Marcher
J’ai adoré marcher dans les montagnes des Andes équatoriennes. Je l’ai fait des heures durant quitte à prendre parfois quelques risques et connaitre de petites frayeurs. J’y ai vu des paysages impossibles à photographier, époustouflants de beauté, des sommets à perte de vue. L’air que j’y ai respiré, au haut de ses montagnes, m’a nourrie pendant des mois. J’ai tout fait pour préserver les lieux que je foulais de mes pas.
Les maisons
J’ai vécu dans des lieux improbables nichés au milieu de la nature, de vieilles haciendas ou des écolodges, j’ai toujours été accueillie avec chaleur et respect. Manger végétarien était possible bien qu’en traversant le pays, j’ai constaté, au nombre de porcs accrochés dans les rues, que mon régime alimentaire n’était pas populaire !
Le défilé militaire
Je ne sais plus où j’étais lorsque j’ai vu ce défilé. J’ignore le jour ni même ce qui était célébré. Seuls les visages demeurent. Il semblerait que ce soit à Quito. Nous errions dans les rues, tôt, et nous sommes tombés sur ces gens qui attendaient. Je ne sais pas qui ni pourquoi mais il y avait autant un sentiment patriotique que des personnes présentes pour témoigner, avec leurs pancartes, d’injustices faites aux agriculteurs.
Le brouillard
Je ne me lève jamais tôt en particulier mais là, il le fallait, je voulais observer la nature au réveil. Dans la vallée de l’Intag, il y a un brouillard qui enroule les arbres, comme des nuages enveloppant l’air.
Utterly written articles , thanks for selective information . Eleonore Patrizius Tannenbaum