J’avance, à peine réveillée, dans une nuit aveugle. Le bus s’est arrêté. Il est tard. Nous avons roulé pendant plus de seize heures étourdis par les entrechats du paysage montagneux. Mon corps sommeille. L’esprit aussi. Je n’y vois rien, j’ai froid, mes pas s’enfoncent dans la neige, des femmes parlent dans une langue que j’ignore, le berbère. L’une d’elles me prend par le bras, et puis soudain, s’arrête — en criant. Une voix d’homme lui répond, elle court vers lui, ma main reste accrochée à la sienne, et je me retrouve là, avec cet homme qui aussitôt entame une marche effrénée, dans laquelle je le suis, sans réfléchir. Sous mes pieds, le sol est glissant. J’aperçois une maison éclairée. On m’y abandonne. Je délaisse mes chaussures à l’entrée et découvre, dans une petite pièce, un parterre de jeunes hommes— tous euphoriques. On me jette un bref coup d’œil. Je reste stoïque. Tandis que les visages se tournent ailleurs, je reconnais celui de mon ami photographe, aussi interloqué que moi, et qui, d’un haussement d’épaules, m’invite à ses côtés. Je pose donc mes affaires et me glisse dans un coin de la pièce, entre lui et une large commode en bois sur laquelle se dresse une étourdissante montagne de couvertures. Emmitouflée, j’hésite encore : dans un village berbère du Moyen Atlas, à 1200 mètres d’altitudes, puis-je m’installer et dormir au milieu de ces hommes de confession musulmane sans les offenser par ma présence ? Je me recroqueville davantage, et, en catimini, observe cette soudaine intimité. Les hommes se parlent, deux femmes, sourire aux lèvres, entrent et sortent, silencieuses, servent des gâteaux, alimentent le poêle posé au milieu de la pièce et, quand arrive le thé, le maître de la maison, Bakhou Haddou, se présente, calme, souriant. Assis à l’entrée, une main posée sur son genou, il s’excuse — mon ami me traduit en francais ce qu’une enfant berbère lui traduit en arabe — de la modestie du lieu, exprime sa joie de nous recevoir tant cette visite, dit-il, rompt sa routine.
Il doit être quatre heures du matin. J’ai les yeux qui piquent. Tout-à-coup, une petite fille arrive au coin de la porte, elle m’aperçoit, court vers moi, pieds nus, se faufile dans mes couvertures et vient se blottir contre mon corps. Elle glisse sa main dans la mienne, ne me parle pas sinon pour prononcer son prénom et son âge : Mouna. Dix ans. Je m’endors avec la liesse de ces jeunes hommes, la lumière allumée et le souffle de cet enfant.
Au réveil, le soleil se levait a peine. Les garçons dévoraient un copieux petit-déjeuner. Mes mains dégoulinent d’huile. Ma langue a un goût sucré. Tandis que je me chausse, Mouna s’impatiente dans le couloir bariolé de bleu, où du linge pend, accroché à des cordes distendues.
Je découvre ce village — Aït Hnini — à lumière du jour. Il porte la couleur de sa terre — couleur chair. Toutes les maisons se ressemblent. Celle de Mouna est une bâtisse composée de terre, de planches de bois, de pailles et de rares pierres éparses. Sur les toits plats, des paraboles : certains ont la télévision, un téléphone portable, mais personne n’a d’eau potable. Une fumée épaisse enveloppe le village. J’avance, les mains gantées, le corps recouvert de vêtements chauds tandis que Mouna gambade vêtue d’un simple pull. Au bord des chemins caillouteux, encore recouverts d’une neige sporadique, des femmes étendent leurs linges. Commence alors une traversée ponctuée de rencontres. Un vieil homme, accompagné d’un plus jeune, enlève la peau d’un mouton éventré qu’il arrose d’eau, tandis qu’à ses pieds repose une laine ensanglantée. Devant nous, un enfant course un chien s’enfuyant avec un pied d’ovin. La marche continue. Trois femmes nous interpellent. Toutes portent des foulards colorés, les mêmes sabots usés, des pantalons recouverts de robes aux couleurs printanières avec un pardessus grisâtre. Si aucune des trois ne se rappelle son âge, toutes exagèrent sur l’âge de l’autre. Sur la place principale du village, les hommes siègent d’un côté, debout sur une muraille ; les femmes restent à l’opposé, en contrebas. Au centre, des gilets oranges — les bénévoles de l’association El Amal, en charge d’une caravane humanitaire — s’agitent. Comme dans une arène, la foule s’agglutine autour de l’événement allant jusqu’à monter sur les toits des maisons. Ils viennent de toutes parts récupérer des cartons de nourriture, et repartent, à dos d’âne ou épaules humaines, leurs vivres avec eux, dans les villages alentours.
Au détour d’une allée, une grand-mère, le dos courbé, nous invite à nous réchauffer dans une pièce minuscule. Son fils nous rejoint et nous parle d’une forêt de cèdres, située à proximité. Il se demande ce que devient l’argent du bois coupé. Pourquoi ne vient-il pas financer les routes du village ? L’hiver, Aït Hnini se meurt. Bloqués par la neige, ses habitants, dépourvus de moyen de locomotion, vivent isolés, sans électricité, sans école, sans médecins, sans routes accessibles. Que penser alors de cette autre femme, enceinte, ignorant le sexe de son futur enfant, prête à accoucher chez elle ? « Que veux-tu faire ? Nous sommes condamnées à vivre ainsi » raconte Lotif Rabha Mouloud. Quand on lui demande son âge — la soixantaine —, elle sort sa carte d’identité dissimulée dans son corsage. Elle n’a qu’un œil, demeure dans une seule pièce, sans mari, sans télévision, sans électricité. Juste avec Dieu. Et un âne. Si sa mémoire s’est envolée avec le temps, la solitude, elle, s’éternise. Pendant la discussion, plusieurs femmes se joignent à nous et nous conduisent chez Fatima Berbouche. Stérile, abandonnée par son mari, elle vit sans famille, dans une pièce aux murs dénudés. Plus nous continuons et plus les femmes rencontrées sur notre chemin ont une histoire à raconter. J’ai deux jours — à peine. Comment faire ? Le dernier matin, dans une pièce endormie, je regarde la mère de Mouna, Aïcha. Le jour n’était pas encore levé que j’entendais déjà ces allées et venues. Elle court, partout, toujours, à la recherche de l’eau et du bois. Sans ça, pas de pain, ni de thé, ni de repas. Et les jours se ressemblent — inlassablement. Pendant qu’elle prépare le déjeuner, bercée par la chaleur du poêle, je regarde sa fille, ensommeillée, j’observe les gestes d’une mère au réveil, toujours les mêmes, et je me demande jusqu’à quand un enfant accepte l’héritage de ses parents ?
Dear Saligot
i would like to thank you for sharing your experience with your readers. its really a unique experience you had. you are so lucky .
i have been ones in Morocco as a tourist with my wife and we were very pleasant to meet such a nice people in a nice country , they often invite you even if they dont know you, we in Europe unfortunately dont know about this hospitality .
Do you still keep in touch with this family ?
it could be interesting to know more now, its like a movie. Keep up the good stories to tell . you are talented
looking forward reading you more
Good luck
Dear Marino,
Thank you for your kind words and sorry for the late answer. Where have you been in Morocco ?
It is true than in this country – and all north africa as I know -, hospitality is a simple and commun gesture, a way of being. We sometimes have news from this family but never came back yet. Soon, maybe
Have a nice day,
Belinda
Dear Belinda,
Thank you for you answer,
We have been in the south, it was trip organized by a company, we visited Ouarzazat, Zagura , and Mhmid el Ghizlane it was in the desert part of Morocco
Unforgettable moment, spending a few nights in Berber desert camp was such a dream.
Morocco is one the best travel we had since, we will probably go back an other time.
Best
Marino
Chère Belinda
En cherchant sur le net des blogs sur le maroc je suis tomber sur votre site et cette histoire si bien écrite sur ce village et ces habitants , je voulais vous remercier et vous féliciter pour ce partage,
Je suis étudiante habitant à Rabat m, dans le future j’aimerai devenir journaliste dans la presse écrite, pouvoir décrire et raconter des histoires de mon pays et pouvoir aussi les partager avec les autres, faire connaître les facettes de mon pays, il m’arrive souvent d’écrire des histoires imaginaires mais je ne peux les publier pour l’instant, j’essaie de m’inspirer et apprendre en lisant les écris des autres .
J’aime beaucoup votre style et voudrais savoir comment avez vous commencer à écrire si simplement et bien détailler un moment d’une histoire ?
En vous remerciant et souhaitant vous lire d’avantage .
Merci encore .
Asmaa .
Chère Asmaa,
Pardonnez-moi de vous écrire seulement maintenant, je n’avais pas vu votre message plus tôt. Je vais prendre le temps de vous répondre prochainement sur votre adresse mail.
Je vous remercie mille fois pour vos remarques sur mon travail. C’est très touchant.
Dans l’attente de notre correspondance, à bientôt,
Belinda
Bonsoir Belinda.
Merci pour votre réponse,
j’ai vu que vous avez poster une nouvelle belle histoire, c’est toujours un plaisir de vous lire.
j’attend votre réponse avec impatience .
Merci encore.
A bientôt
Asmaa