C’est l’histoire étrange d’un village sourd. Un village déserté. Les mauvaises herbes s’abritent dans des maisons sans portes, sans vitres, aux murs démolis et aux jardins sauvages. Un village fantôme. Sans âmes qui vivent. Ou presque. A Goussainville, le Vieux-Pays, entrez sans frapper. On enjambe les grillages, les débris, les fenêtres. On entre par effraction, en jetant un bref coup d’œil derrière soi. De cette soudaine intrusion nait un sentiment étrange, une politesse inutile, celle qui consiste à murmurer, au pied d’une demeure : « Y’a quelqu’un ? ». Il n’est pas interdit de penser que des inconnus ont un jour élu domicile dans une de ces maisons abandonnées. Et y vivent encore. Sans eau. Sans électricité. Malgré tout, à l’abri. Si beaucoup de ces maisons ont un toit, peu possèdent un plancher solide. Chaque pas invite donc à la prudence. Les canailles s’aventurent dans les greniers, ouvrent les portes grinçantes, découvrent des pièces plongées dans l’obscurité, agitent la poussière et les souvenirs, des souvenirs qui se répandent du sol au plafond.
Bref inventaire des lieux : dans une pièce, un vieux réchaud, quelques couvertures et des magazines. Dans une autre, une chaise en bois, le siège craquelé et des avions en papier. Partout, une odeur d’humidité qui, longtemps après, continue à vivre sur la peau, les cheveux ou les tissus.
Goussainville, c’est une histoire triste. Avant, une église, des fermes, 144 familles. La nature. Le calme. Aujourd’hui, une dizaine d’habitants, plusieurs maisons abandonnées, en ruines, murées et des avions qui, chaque minute, survolent le village.
3 juin 1973. Jour de Fête des mères, le Tupolev 144, cousin du Concorde, s’écrase sur la commune de Goussainville. 14 morts. La mauvaise réputation commence.
1974, construction de l’Aéroport Roissy-Charles de Gaulle. A 3 kilomètres du village. Pression des responsables de l’aéroport (ADP) pour racheter les 134 propriétés du Vieux Pays et les démolir. Pression des habitants. Suicide d’un boucher. Suivi d’un couple de retraités. Impossible de démolir. Le secteur est protégé. L’église Saint-Pierre-Saint Paul de Goussainville est classée monument historique depuis 1914. Rachat par ADP de 80 bâtisses situées dans une « zone de bruit intense ». Aussitôt achetées, aussitot murées. 2009, la commune les récupère pour un euro symbolique.
2014, du bruit permanent. Un vrombissement assourdissant. Un Vieux-Pays en voie de repeuplement. Une des raisons principales : “Deux fois moins cher par rapport à la Seine-Saint-Denis où je vivais avant. Et tellement mieux qu’en HLM !” témoigne dans Le Parisien un nouvel habitant.
Quand un avion passe, toutes les cinq minutes, il rase les maisons et le silence se meut alors en pause épileptique dans les conversations.
Un habitant a un jour confié : « Il n’y a que le Concorde qui nous oblige à monter le son de la télé. Mais il ne passe que deux fois dans la journée ».
Pas un café. Pas une boulangerie. Pas un commerce. Pas un marché. Un cimetière.
Un parc. Au milieu, le manoir de Théodore Frapart construit vers 1860 sur le domaine du dernier seigneur de Goussainville, Aimard-Francois de Nicolay, Comte d’Empire et chambellan de Napoléon Ier. Si sa façade est intacte, quand la porte s’ouvre, le toit a disparu, le ciel apparaît et seuls les murs restent debout. Une pousse végétale s’affiche fièrement au milieu d’un amoncellement de pierres tandis que, les yeux levés au ciel, le spectacle aérien continue.

Goussainville n’est pas mort.
Goussainville renait dit-on.
Une poignée d’enfants dévale la rue principale à vélo, chacun défiant l’autre à un nouvel exploit. Un tournage d’amateurs a lieu dans le cimetière de la ville. Une étrange prise de vue sous un arbre, au milieu des jonquilles. Au bout du village, un garage. Derrière le parc, des chevaux. Partout, des ruines. Quelques carcasses de voitures.
A mon approche, un vieil habitant s’exclame :
” Cherchez-vous des fantômes ? “